

H.B: Qui êtes-vous / comment vous définissez-vous ?
N.B : Je me définirais comme un curieux qui aime la surprise. Mais je peux développer un peu si vous le désirez.
Né en 1977, j’ai vécu les années 80 à leurs plein potentiel. Cela semble m’avoir animé d’une relation quelque peu tortueuse avec la musique populaire. Cette relation a certainement marqué mon parcours qui oscille depuis entre baroque et formalisme. Les Madonna et autres KLF des années 80 auront laissé leur place à la musique lourde et le punk rock dans les années 90. C’est probablement à cette époque où j’organise des concerts, où je produis des cassettes sans moyens, et où je distribue des affichettes photocopiées que je découvre à mon insu le design graphique. Trop timide pour étudier dans un domaine créatif, je tente des études marketing, rêvant d’utiliser les stratagèmes de droite pour aider la gauche. En parallèle, Internet fait son apparition. Des affichettes photocopiées, mon intérêt pour le design graphique passe au numérique à faire des sites web pour mes groupes de musique. Autodidacte —puisque le web ne s’enseigne pas à l’époque—, je travaille dans ce domaine pendant quelques années jusqu’à ce que se corporatise ce milieu où travaillaient initialement des gens passionnés. Comme webmasteur/programmeur/designeur dans le milieu culturel, la musique demeure présente, m’intéressant de plus en plus à la musique électronique, passant du club, à la drum’n’bass aux influences jazz à l’expérimentale post-rock.
Arrivé tôt sur le « marché du travail », je chéris le rêve d’étudier la musique tout en me passionnant pour les arts visuels et les arts de la scène. Je réussis à m’immiscer dans le milieu universitaire —je serai d’ailleurs toujours reconnaissant aux professeur.es qui ont vu assez de brillant dans mes yeux pour me permettre d’intégrer ce milieu qui m’était étranger. Vivant à toute allure, je m’implique rapidement dans le milieu des arts dits numériques, de la musique dites expérimentale et de la musique dite électroacoustique. Les projets s’enchaînent : création, collaborations, tournées, conceptions pour la danse et le théâtre, etc. En 2014, je sens que mon expérience pourrait profiter aux autres et les astres font en sorte que je débute une carrière comme professeur à la Faculté de musique de l’Université de Montréal où je travaille depuis de mon mieux pour contribuer à transmettre la passion du travail artistique.
Voilà évidemment un très courts résumé, quelques faits saillants qui participent à me définir. Aujourd’hui, je sens que ces expériences coagulent de manière intéressante dans mon travail et la pièce « Aluminium » en est certainement un exemple récent. On y trouve une base de synthétiseur (influence années 80), de la distorsion plus punk (influence années 90), une rythmique métrique (influence années 90/2000) dans une articulation certainement influencée par la musique acousmatique et contemporaine (années 2000/2010)… le tout essentiellement JOUÉ, le plus loin possible de l’ordinateur, cet autre objet avec lequel j’entretiens depuis longtemps une relation aussi tortueuse qu’avec la musique populaire. Ces « tortuosités » sont probablement ce qui définit notre travail.
H.B: Comment est né ce projet / quelle piste avez-vous suivi(e) pour la création de celui-ci ?
N.B : Ce projet existe grâce à l’artiste Mo H. Zareei qui travaille sous le pseudonyme mHz. La pièce est d’ailleurs disponible sur son disque « Material Prosody » sorti en octobre 2024. Zareei a d’abord conçu un séquenceur mécanique où un solénoïde excite un matériau que l’on peut changer : béton, laiton, cuivre, acier, bois…et aluminium. Zareei a demandé à 5 artistes (Alba Triana, Loscil, Matmos, Zimoun et moi-même) de composer une pièce avec son séquenceur, en attribuant une matière à chaque artiste.
Quant aux pistes que j’ai suivies, j’ai dû user d’imagination afin d’attacher à mes intérêts courants (essentiellement la synthèse et le geste), la matière produite par le séquenceur et son bloc d’aluminium. Cette matière est brute, pour ne pas dire aride : le séquenceur produit des rythmes basiques sur une matière tout aussi basique. Ma stratégie de création s’est articulé ainsi : coller un micro-contact au bloc d’aluminium pour permettre de générer un voltage qui déclencherait un synthétiseur. Le synthétiseur que j’ai utilisé est monophonique, il s’agit d’un Mother-32 de la compagnie Moog. Le signal passe ensuite dans des pédales d’effets. La pièce s’est construite dans un jeu très expressif et gestuel sur ce dispositif, le tout déclenché par le « Material Sequencer » de Mo H. Zareei. La pièce est au final une pièce acousmatique où on trouve assez peu de montage, plutôt une superposition de trois improvisations sur le dispositif.
H.B: Que représente pour vous la création d’une pièce acousmatique aujourd’hui ?
N.B : La musique acousmatique permet de se concentrer sur le son, et uniquement sur le son. Il s’agit d’une posture noble, voire puriste (ce que je ne vois pas comme péjoratif). Cependant, je dois dire qu’à titre de mélomane, le concert acousmatique ne n’intéresse plus. L’écoute acousmatique à la maison, à l’heure de mon choix et avec le dispositif qui me convient m’intéresse encore. Cela dit, l’intérêt dans la création de la pièce « Aluminium » était dans le FAIRE. J’ai l’impression que, par incidence, l’intérêt d’écouter cette pièce est d’entendre ce FAIRE se développer, de sentir le jeu humain. Cela est d’ailleurs le cas dans la majeure partie de ma production acousmatique.
_Quels sont vos prochains projets ?
N.B :En ce moment, je me laisse porter par les propositions que l’on me lance. Là où j’ai une bonne partie de ma vie refusé les collaborations, trop occupée par mes propres idées, je sens aujourd’hui, plus que jamais, une envie d’essayer de nouvelles choses. Un ami m’a parlé de faire un projet techno : oui! (je n’ai jamais fait danser le public, en serai-je capable?). Une musicienne classique de haut niveau m’a proposée de jouer ensemble : oui! Une autre musicienne de qui j’apprécie le travail m’a demandé de réaliser son prochain projet : oui! J’ai viens de terminer l’écriture d’un quatuor de synthétiseurs. Je travaille d’ailleurs beaucoup sur la notation du son électronique, la notation de la performance. Sans savoir exactement où je vais avec ces projets éclectiques, je crois être en bonne posture pour continuer à essayer « à me définir » pour reprendre votre première question.